Notice historique par l’Amiral Alexis de LACROIX de LAVALETTE

Le MANOIR de DUR ECU à Urville-Hague
notice provisoire par l’Amiral Alexis de LACROIX de LAVALETTE
Extrait de SOCIETE D’ARCHEOLOGIE DE LA MANCHE – MELANGES – NEUVIEME SERIE (1980)

Résumé – L’origine de divers toponymes Durecu du Cotentin
Les origines de Durécu à Urville-Hague – Les Lesdo et Louis de Grimouville
Jacques Barbou, Jean-Hervé Mangon, Les Lesourd – La famille Lemoigne
La révolution à Durecu – La période moderne – Sources

Résumé

Le pittoresque ensemble de bâtiments de Durécu a énormément souffert en 1944. Il fut alors restauré par Mme Louis René-Bazin et son fils Jean. (…)

Durécu a appartenu aux Heuzey (à la fin du XVIe s.), puis à Thomas Lesdo, bailli de la haute-justice du Voeu, anobli en 1609, constructeur présumé du manoir, et à ses héritiers; puis à Louis de Grimouville (… 1667-1686 ); puis à nouveau aux Lesdo; puis à Jacques Barbou de Plémarest (1708); à Jean-Hervé Mangon aux Lesourd de Laiglerie (1733). Acheté en 1773 par Simon Le Moigne la Couture, il est resté dans sa descendance (famille Le Moigne du Taillis; Gustave Le Chevallier; Mme Louis René-Bazin).

L’origine de divers toponymes Durecu du Cotentin : le fief de Durecu à Gatteville

Le nom de lieu Durécu a été ou est encore connu, dans la Manche, en diverses communes.
Nous n’avons aucune indication sur l’origine de quatre Durécu :
– celui de Pierreville : toponyme mentionné dans la Nomenclature de l’INSEE,
– celui de Picauville : toponyme ignoré de la même Nomenclature ; le fief Mouchel ou de Durécu, quart de fief dépendant du fief de Vauville (lui même dépendant d’Orglandes), appartenait en 1460 au sieur de Ricarville; en 1523, à Michel de Ricarville (Rech.. de 1523, nl 94); en 1605-1612 à Antoine Simon de la Chesnaye, au droit de son épouse (A.D. Seine-Maritime, ll-B 455, pièce 114 , etc.),
– celui de Bricquebec,
– celui des Perques.

Par contre, nous pensons que les autres Durécu ont une même origine. La famille Durécu, possessionnée à Gatteville, a donné son nom au fief de Durécu, sis à Gatteville, qui avait des arrière-fiefs en plusieurs communes, notamment à Morsalines et à Urville-Hague.

La famille Beauvalet possédait le fief de Durécu à Gatteville en 1746 (Etat des fiefs de l’élection de Valognes, conservé dans le chartrier de M de Gouberville) et, probablement, dès le XVIIe siècle. Comme elle habitait St-Vaast-la-Hougue, elle a transféré ce nom de Durécu sur le château qu’elle y habitait, sur une terre roturière (Leroux, Hist. de St-Vaast, p. 324 J. Leterrier, p. 41).

Cette famille Durécu de Gatteville ne nous est connue que par une seule mention : en 1227, Robert Durescu, chevalier, donne à l’abbaye du Voeu un clos d’une demi-acre, situé sur la route qui va de Barfleur à Carnanville [à Crasville ??] (H 2769). Y ajouter une brève mention dans la Rech. de 1523 (nG 12).
Le fief de Durécu quart de fief, sis à Gatteville, dépendant du fief d’Olonde (dépendant lui-même de la baronnie de Bricquebec) se maintiendra à travers les siècles, avec ses arrière-fiefs, notamment
– à Urville-Hague : huitième de fief de Durécu, dépendant de Durécu à Gatteville (Etat des fiefs de 1746),
– et à Morsalines, où le fief de Durécu appartenait en 1746 aux Boran de Castilly.

Nous retrouvons ce fief de Durécu en Gatteville et surtout ses arrière-fiefs, implicitement, puis explicitement, dans divers textes de 1307 à 1320 connus par l’inventaire analytique des Registres du Trésor des chartes, t. ler, 1958, n*394 ; t. 2, 1966, n*352, 2736, 2977, 2998, 3003, 3295, 3545).

L’histoire est malheureusement assez compliquée. Elle aboutit à faire passer en quelques années la fief de Durécu de la famille Agombaut, au roi, puis à Philippe le Convers, chanoine, puis à Robert Sartrin, de Carentan, de la manière qui suit :

En juillet 1307, Philippe le Bel donne à Me Philippe le Convers, chanoine de Paris, clerc du roi, tous les biens échus au roi par le décès de Pernelle [portant un prénom typique du Val de Saire], fille et héritière de feu Raoul Agombaut [alias Angoubaut n* 2736]], bâtard, dans les paroisses d’Urville-Hague, Morsalines, Valcanville, Cosqueville et Gouberville, avec leur cour et usage et avec leur simple justice, moyennant une rente de 60 livres tournois, payable au roi à la St-Michel (n* 3003).

Ces biens, répartis en cinq paroisses, semblent bien avoir constitué le fief de Durécu que Philippe le Convers, devenu archidiacre d’Eu en l’église de Rouen, emploie largement au service du roi. En conséquence, Philippe V, vers 1316-17, l’autorise, ainsi que ses héritiers, à transporter à quiconque, soit en totalité, soit par portions, leur « fief de Durécu » (n*352).

En 1318, Philippe le Convers, devenu trésorier de Reims, et propriétaire du manoir du Mesnil-Ozenne (canton de Ducey), obtient du roi une rente de 81 livres sur la fiefferme du Souillon dans la vicomté d’Avranches en échange de son fief de Durécu, qui produit un revenu de 90 livres tournois (n* 2736, 2977). Cette transaction est annulée peu après, le roi s’étant aperçu que la fiefferme du Bouillon n’était plus à sa disposition et avait été affectée depuis longtemps à sa tante Blanche d’Espagne (n* 3545).

Peu avant le 5 février 1320, Philippe le Convers, redevenu possesseur de Durécu, le vend à Robert du Sartrin, demeurant à Carentan (n* 2998), qui, en novembre 1320, obtient le privilège que son fief ne sera jamais soumis à la garde royale (n* 3295).

Ce Robert du Sartrin, le nouvel acquéreur, n’est pas un inconnu pour les érudits cherbourgeois. Il avait acheté en 1303, rue du Nouet, une maison avec courtil. En 1325, « à cause du long et fidèle service qu’il a fait au Roi et à ses prédécesseurs », Charles IV l’autorise de construire un colombier dans son manoir de Cherbourg, nonobstant la coutume du pays. En 1360, Thomas du Sartrin, bourgeois de Carentan, son fils (??), vend ce manoir urbain à l’abbaye du Voeu. Elle l’utilisera en cas de guerre ou d’épidémie. Elle y aménagera une chapelle et y transportera l’auditoire du bailli. Sur 1’histoire du « manoir Sartrin » ou « Abbaye Sartrine », cf.A.D.Manche, H-2457-59; Mém. Soc. acad.Chbg, t. 17, 1905, p. 300 ; t. 18, 1910″ p. 86.

Le XVIe siècle fournit des renseignements actuellement contradictoires pour le fief de Durécu à Gatteville.

D’une part, Durécu semble appartenir à la famille  [1] dès la fin du XVe siècle. La Recherche de 1523 mentionne, parmi les produisants, un Michel Lucas, petit-fils de Jean Férey, écuyer, seigneur de Durécu (n*143), et un André Hébert, petit-fils de Guitlaume Férey, écuyer, sieur de Durécu (n* 149). Ajoutons-y Richard Férey, sieur de Durécu, mort en 1522 (Renseignement M. Michel Antoine, professeur à l’Université de Caen).

D’autre part, le manuscrit Mangon du Houguet, relatif à Gatteville (A.D. Manche, série J) est très explicite sur la liste des propriétaires de Durécu de 1509 à 1551 : Guillaume Durant, Gillette du Hamel, Jean de Guéret, Jean Férey.

En effet, le 2 novembre 1509, est reconnue la vente du fief de Durécu par noble homme Guillaume Durant, dict Durescu, à dlle Gillette du Hamel et à son premier mari, Nicolas Basan (par devant Gilles Fouquet et Ollivier Gouffaut, tabellions au Val de Saire). Gillette du Hamel se remarie avec Nicolas de Guéret. Leur fils Jean de Guéret, écuyer, sieur de Durécu, en hérite, mais il habite la Vaquerie à Teurthéville-Bocage (Journal de Gilles de Gouberville, 5 mai 1549). Le 6 novembre 1551 (devant Evrard et Lesbaudier, tabell. à Caen), Jean de Guéret cède à n.h. Jean Férey, sieur de St-André et du Chuquey [à La Pernelle], Durécu, avec son gage plège, cours et usage, tenu de la sieurie d’Olonde, icelui fief assis ès paroisses de Gatteville, Urville en la Hague, Querqueville, Fermanville, Morsalines, Barfleur, Montfarville et autres, dont le chef est assis à Gatteville. Jean Férey, en contréchange, remet le Manoir du Puys et Moulin Broquet, sis à Teurthéville-Bocage à Jean de Guéret qui continuera, longtemps après cette cession à s’intituler « sieur de Durécu » (Tabell. de Valognes, reg. 2, ler octobre 1568).

Quels que soient les avatars de Durécu pendant la première moitié du XVIe siècle, nous arrivons avec Jean Ferey à un des personnages qui a le plus illustré la Manche sous les Valois-Angoulême et qui est aujourd’hui totalement oublié.

Fils de Richard Férey, sieur de Durécu, mort en 1522, et de Guillemine Dubois (Renseignement M. Michel Antoine, qui s’écarte du Dict. de biographie française), Jean Férey nait en 1518. Reçu, en 1544, secrétaire du roi; en 1553, secrétaire de la Chambre du roi et contrôleur général de l’artillerie; en 1562, directeur et supérintendant des vivres de l’armée et intendant des finances, il est ambassadeur aux Pays-Bas (1566-68). Conseiller d’Etat et chevalier de l’Ordre du Roi, il avait été, en janvier 1574, nommé supérintendant des bâtiments de Charles IX à Charleval.

Sieur de Durécu, de St-André-du-Val Jouas (à Gavray), il était surtout posséssionné dans l’Eure : seigneur de Fontaine-la-Louvet (où il construit un chàteau en 1560); de Malou (à Cameilles); de la Chapelle-Bayvel, de Thiberville. Faut-il lui attribuer la construction du manoir de Durécu, à Gatteville, actuellement en ruines ? (B. Leblond, Les Pierres qui parlent, Coutances, Ed. N.-D., p. 77). Marié à Paris (C.M. du 19 mars 1542), à Jeanne de Launay, il laissa trois filles :

* Marguerite, mariée en 1582 à Jean de Pirou, seigneur de Fermanville,
* Renée, mariée en 1591 à Jean de Longaulnay, lieutenant général pour le roi en Basse-Nomandie,
* Catherine, mariée à Louis Le Conte, sieur de Brucourt, qui, le 2 juillet 1621, rend aveu pour le fief de Durécu, tenu par un 1/4 de fief de haubert, assis à Gatteville, Barfleur, Valcanville, Ste Geneviève, Cosqueville, Fermanville, Urville en la Hague, Montebourg, Teurthéville, Morsalines, en laquelle paroisse de Gatteville y a manoir, maison, moulin, colombier à pied, domaine fieffé et non fieffé, juridiction, service de prévôté, droit de gravage, et dont relèvent :
o un autre fief ou membre de fief assis à Urville, de présent [1621] possédé par M. Thomas Lesdos, bailli de Cherbourg,
o un autre fief à Morsalines possédé par Jacques du Prael, écuyer, sieur de Morsalines,
o un autre fief assis à Fermanville et Cosqueville, possédé par les représentants de + Nicolas de Hennot, écuyer (Ms. Mangon du Houguet, Gatteville).

Sur Jean Férey, consulter Dict. de biogr. française ; Catal. des factums de Corda ; H.Pellerin, Un grand seigneur … ambassadeur de France, dans le Pays d’Auge, janvier 1957, p. 7-13 Charpillon, Dict. hist. de l’Eure ; etc.

Les origines de Durécu à Urville-Hague

Durécu d’Urville-Hague a vraisemblablement eu les mêmes propriétaires que le fief de Durécu à Gatteville pendant longtemps. Le domaine utile et le domaine fieffé (la propriété et la suzeraineté) se sont séparés à une période inconnue.

En 1475, nous avons relevé, dans un registre du tabellionage de Cherbourg, les noms des titulaires de deux des trois fiefs d’Urville. C’étaient : Nic. du Bosc, écuyer, sieur des Fontaines, et Jean Adam, écuyer, seigneur d’Urville. Mais il n’est pas possible de conclure que Jean Tesson, écuyer, demeurant aussi à Urville, fût alors seigneur de Durécu.

Robert Le Coq, écuyer, sieur de Durécu et de Jobourg (XVème siècle) et son fils Gaultier Le Coq, p écuyer, sieur de Sideville et de Durécu, mort vraisemblablement avant 1502, ont peut-être possédé le Durécu d’Urville-Hague (Rech. de 1523, nl 5 et 7).

Michel de La Chapelle, écuyer, est dit explicitement « seigneur du fieu de Durescu en la paroisse d’Urville » en 1521 (B.M. Cherbourg, ms. 306). Il avait été anobli en 1513 (Rech. de 1523, n*27).

En 1565, Jean Heuzey porte le titre de sieur d’Urville, de Durécu, et des Fontaines. En 1595, les hoirs d’Olivier Heuzey écuyer, sieur de Durécu, partagent avec Guillaume Heuzey, écuyer sieur des Fontaines, n.h. Pierre Heuzey, écuyer, seigneur de Gatteville et Urville, et Hector Heuzey, écuyer, sieur de Bréfontaine (à Eculleville) les rentes dues à la succession de leur père Jean Heuzey, déjà cité (A. D. Manche, Fonds Lepelletier, n* 31 sq.). Durécu, en 1608, n’apparait plus parmi les nombreux Heuzey, présents au Conseil de tutelle des enfants mineurs du sieur de Bréfontaine (Fonds Lepelletier, ibid.).

Les Lesdo et Louis de Grimouville

Thomas Lesdo, sieur de la Rivière (cité en 1598-1599), est qualifié sieur de Durécu (de 1603-1623). On peut en conjecturer qu’il a acquis Durécu entre 1599 et 1603. Bailli de la haute-justice du Voeu, il est anobli en 1609. Il meurt avant 1632. Sa succession n’est réglée qu’en 1639. Durécu tombe dans le lot de Jean Lesdos, écuyer, sieur de Durécu et de la Rivière, célèbre avocat au Parlement de Rouen, puis entre les mains de son fils Jacques Lesdo, écuyer, sieur de Durécu et autres lieux, avocat en la Cour de Parlement de Rouen, mort prématurément en 1662.

C’est probablement à l’occasion de sa succession (il laissait 6 enfants mineurs) que Durécu change de main pour appartenir à Louis de Grimouville, marquis de la Mailleraye, colonel du régiment de Piémont, nommé en 1672 brigadier des armées du Roi. Il obtient des délais pour faire hommage de Durécu en 1667, 1672, 1673, 1675, 1678, 1683 (A.D.-Seine-Maritime, Il 8 475, p. 135). Il meurt en 1685.

La faillite financière dudit marquis de la Mailleraye, déjà prononcée en mars 1674 (fonds Lepelletier, n° 184 à 192) devait apporter des bouleversements considérables dans la répartition de ses biens qui furent dispersés pour dédommager ses créanciers (cf. aussi tabellionage des Pieux, 1687).

C’est peut-ètre à cette occasion que la terre de Durécu revint entre les mains des Lesdo. Un acte de 1689 (fonds Lepelletier, n° 240) précise qu’à cette époque Jean-Baptiste de Lesdo (fils de Jacques Lesdo, mort en 1682) portait déjà le titre de seigneur de Durécu et qu’agissant tant en son nom qu’en celui de son frère Nicolas, écuyer, seigneur de Digulleville, capitaine dans le Régiment de Normandie, « tous deux cohéritiers en la succession de défunt Richard de Lesdos, esc., seigneur de Grandmont, leur oncle », il vendait en fieffe perpétuelle une maison sise au Hameau de Gruchy à Gréville-Hague à Charles et Philippe Millet, père et fils, lointains aïeux du peintre Jean-François Millet.

Les deux frères occupaient des charges importantes. J.-B. fut procureur général en la Cour des aides de Normandie, puis premier président en la Cour des Comptes de Rouen. Nicolas mourut un 1715 brigadier et inspecteur général de l’infanterie.

Le 16 novembre 1708, J.-B. de Lesdo, chevalier, seigneur de la Rivière, Gréville, Urville, des Fontaines, de Dur Ecu, et autres terres et seigneuries, agissant aussi au nom de son frère Nicolas de Lesdo, seigneur de Digulleville, vendit à Jacques Barbou, écuyer, sieur de Plémarest, différents biens sis à Urville dont la ferme de Durécu « se consistant en un corps de logis composez a usage de maison manable, caves, salles, chambres, greniers, celliers, pressoir, charteries, granges, et estables, cours et issues, boelle fermée, en jardins et enclos plantés de pommiers, fermés de murailles et en plusieurs pièces de terre et tènements tant en herbage, prayrie, bois taillis et de haute fustez qu’en terres labourables dont est présentement fermier Pierre Damourette par 900 livres par an. »

En outre le lendemain, 17 novembre 1708, le même Jean-Baptiste de Lesdo, seul cette fois, fieffait audit Jean-Hervé Mangon, les fiefs nobles et seigneuries des Fontaines, d’Urville et de Durécu, avec le droit de patronage honoraire d’Urville attaché au fief des Fontaines, ainsi que le « manoir vulgairement nommé la baronnerie d’Urville » et le moulin à eau seigneurial, pour 350 livres de rente foncière (cf. Les Lesdo).

C’est ainsi qu’apparaît clairement la séparation de la propriété du fief noble, de celle du manoir et de son domaine.

Jacques Barbou, Jean-Hervé Mangon, Les Lesourd

Nous ne savons quand ni comment (entre 1708 et 1733), Jacques Barbou céda le domaine fieffé de Durécu à Jean-Hervé Mangon, déjà propriétaire du fief depuis 1708.

La séparation du domaine et du fief, qui s’était produite en 1708, se renouvellera bientôt :

Le 5 mars 1733, Jean-Hervé Mangon, chevalier, seigneur des Marests, Nacqueville et Urville, vend à Pierre Le Sourd, sieur de l’Aiglerie, directeur des aides à Valognes, le domaine de Durécu, ainsi que les fermes de la Baronnie et de Grosmont pour le prix de 78.500 livres. A cette époque, Durécu était loué à Nicolas Bourget pour 950 livres par an, et déjà le contrat indiquait que le fermier y avait commis des dégradations.

En 1742, le même Jean-Hervé Mangon vend les fiefs nobles correspondants, au prix de 9.887 livres, à Adrien Folliot, écuyer, sieur de la Presle, qui prendra désormais le titre de seigneur d’Urville, des Fontaines, de Durécu et de la Presle (état civil de Branville), sans détenir en fait la propriété ni du manoir, ni du domaine de Durécu.

Pierre Le Sourd eut pour héritier son fils Pierre-Nicolas Le Sourd, sieur de l’Aiglerie, maire d’Avranches.

La famille Lemoigne

C’est le 27 septembre 1773 que trois frères Lemoigne, Simon Le Moigne la Couture (v.1735-1785), Jean et Thomas Le Moigne, demeurant alors à Omonville-la-Rogue, achetèrent la ferme et les terres de Durécu qu’ils payèrent 40.880 livres versées comptant entre les mains du vendeur Pierre-Nicolas Le Sourd, sieur de l’Aiglerie, maire d’Avranches, selon contrat passé devant Hillaire Nicollet, notaire à Cherbourg.

Notons en passant que, le 22 juillet 1771, Simon Le Moigne la Couture avait épousé Jeanne-Louise Moulin, de la paroisse d’Urville, qui ne fut peut-être pas étrangère à l’élaboration de cet achat.

Lors de la signature du contrat, Pierre-Nicolas Le Sourd avait pour épouse Jeanne-Marguerite Roger de Chalabre, qui lui avait apporté en dot, puis en héritage de ses parents, un capital estimé à plus de 56.300 livres constitué, partie en espèces, partie en valeurs à lots. Mais Marguerite de Chalabre mourut en 1775. N’ayant pas eu d’enfant de son mari, elle laissait pour héritier son frère qui ne fit aucune démarche pour récupérer auprès du sieur de l’Aislerie les sommes qui lui revenaient de droit. En 1782, Pierre-Nicolas Le Sourd épousait une jeunette, Elisabeth-Madeleine Couture, puis mourut peu de temps après ce second mariage. Comme il avait mené grand train de vie, il se trouva que la vente de tout le mobilier garnissant l’hotel qu’il possédait à Avranches ne suffit par à dédommager tous les créanciers. Ce qui ne fit pas l’affaire de la jeune veuve qui, quoique n’étant pas légalement héritière de son mari, espérait toucher le magot. Elle alla donc trouver le sieur de Chalabre et lui acheta pour 16.000 livres ses droits sur la succession de sa soeur. Puis elle se mit en campagne pour récupérer le plus d’argent possible. Elle s’en prit en particulier aux acquéreurs des terres vendues par son défunt mari, en l’occurrence les Le Moigne et leurs cousins germains les frères Paris qui avaient pris en fieffe la ferme de Grosment, voisine de Durécu, par contrat du 29 octobre 1773.

Ainsi débutait un procès qui, commencé en 1782, ne prit fin qu’en l’an III par une transaction où la dite dame Couture obtint en partie satisfaction. Tout au moins recevait-elle le capital amortissant la rente de fieffe de Grosmont.

Lors de l’achat, les bâtiments de Durécu étaient en fort mauvais état et les frères Le Moigne durent y effectuer d’importants travaux de restauration. Ces considérations et, peut-être aussi, les engagements antérieurs, les empêchèrent de quitter immédiatement Omonville-la-Rogue et ce n’est en fait qu’en 1778 qu’ils vinrent s’installer au manoir.

Simon Le Moigne la Couture ne devait pas jouir bien longtemps de la nouvelle acquisition. Il mourut le 23 novembre 1785, laissant à sa veuve le soin d’élever leurs 3 enfants mineurs avec l’aide, il est vrai, de ses frères et belle-soeur.

La révolution à Durecu

Survint la Révolution. Pendant la Terreur, Jean-Louis Le Moigne La Rivière, fils de Simon Le Moigne la Couture, ayant atteint l’age de 21 ans, dut partir au service militaire. Mobilisé dans la Marine, il fut embarqué sur un navire de guerre et resta absent de 1793 à 1795. C’est pendant son absence que sa mère et ses soeurs reçurent une curieuse visite racontée dans ces termes par sa fille Adèle (1815-1886) en religion soeur Marie-Geneviève :

Dans leur terreur délirante les agents de la Constitution, espérant se procurer du salpêtre par le moyen du lessivage des décombres des vieux bâtiments, résolurent un renversement général de ceux qu’ils connaissaient. Ceux de ma grand-mère furent les premiers fournissant matière à ces recherches. Loin de prévoir cette ridicule avanie, elle profitait d’un moment de loisir pour s’entretenir avec ses filles, quand tout à coup elle entend rouler bruyamment sur leurs gonds les grandes portes de sa cour. Vite, elle va voir ce qui occasionnait ce bruit et elle voit s’avancer dans la cour quelqu’un décoré des insignes de la liberté, une épée au côté et à sa suite une foule d’hommes armés de pioches, de massues et de barres de fer. Effrayée à ce spectacle, elle se hâte de renfermer ses filles, son plus cher trésor, dans un appartement dérobé après leur avoir imposé le plus grand silence, les avoir rassurées contre la peur, verrouillé la porte et mis la clef dans sa poche. Elle revint attendre ses farouches visiteurs. Le chef, étant entré vint près d’elle, l’interpelle ainsi : Citoyenne, nous venons démolir tes vieux bâtiments. – Dans quel but ? – Afin d’y trouver du salpètre. – Où irai-je me loger quand tu auras renversé ma maison ?. – Nous n’y toucherons pas aujourd’hui, nous commencerons par ton vieux colombier. Ma grand-mère réfléchit un instant puis elle dit – Tu sais que je ne peux résister. Va exercer ton carnage !

La troupe joyeuse se rend au colombier en toute hâte. Avant d’essayer leurs forces, ils n’avaient mesuré ni la grandeur, ni la difficulté du travail. Le vieux manoir, ainsi que ses dépendances, avaient résisté aux guerres des Anglais. Semblable au corps d’un vieil et intrépide guerrier, Il portait les légères balafres qu’il avait reçues par les boulets qui étaient venus s’applatir ou se briser contre ses murs. Pour lui cette armée n’était pas redoutable.

Le vieux colombier, masse énorme, bâti à l’extérieur avec de larges et plates pierres bleues, extraites du fond de la mer, avait grisonné avec l’age et perdu sa teinte. Il présentait l’aspect d’un petit fort de guerre, l’intérieur bâti en pierres de granit enchâssées les unes dans les autres de manière à former, tout autour, de haut en bas, des ouvertures servant d’entrées aux niches des pigeons placées dans les parois.

Les ouvriers, se mettant à l’oeuvre, veulent saper l’édifice par les fondements. Ils exercent leur force et leur adresse ensemble et tour à tour. Leurs efforts sont vains, inutiles. Ils ne peuvent pas même porter leurs dégradations à la profondeur des niches. Ils s’en vengèrent sur l’échelle tournante et la brisèrent. Après cela, le chef revint vers ma grand-mère : « Citoyenne, lui dit-il, le travail est dur. Il nous faut des aides, tu vas nous les fournir et ce dont nous avons besoin pour préparer des machines capables de le faire tomber ». Indignée, elle lui répond : « Tu veux que je te donne des aides pour détruire ma maison, je ne le ferai pas ». Irrité à son tour, il tire son épée de sa gaine et, la brandissant devant elle, ajoute : « Nous te le ferons bien faire ». Ma grand-mère, au lieu de reculer, s’avança près de lui et répliqua : « Si tu trouves dans ta fureur révolutionnaire le courage d’exercer tes rigueurs sur une femme sans défense, voilà mon coeur – qu’elle indiquait de sa main – Tu peux le percer, mais le changer, jamais… »

Saisi à la vue d’une si grande énergie, il recula et changeant de ton dit : « Nous nous en tiendrons là pour aujourd’hui – A l’avenir, sois plus docile » . Ils se retirèrent tous. Et ce coup fut pour elle le dernier éclat de la foudre républicaine. On la laissa tranquille.

Rentré dans sa famille on 1705, Jean-Louis Le Moigne La Rivière dut, après la mort de son oncle Jean, survenue peu de temps après sans laisser de postérité, règler, avec son oncle Thomas et ses tantes, le partage des biens communs. C’est ainsi que le domaine de Durécu lui échut avec, en contre partie, l’obligation de dédommager en valeur les autres membres de la famille.

C’est Jean-Louis Le Moigne qui fit batir, en 1808 semble-t-il, les trois moulins à eau qui surplombent le manoir.

La période moderne

Jean-Louis Le Moigne la Rivière (1772-1858) et sa femme, Eléonore Langlois d’Arreville (1776-1855), décidant de prendre leur retraite, partagèrent, par un acte du 2 novembre 1846, leurs biens immobiliers entre leurs enfants (trois fils et une fille).

A la génération suivante, Gustave Le Chevallier, fils de Marie Le Moigne du Taillis, recueillit tout l’héritage de son grand-père Jean-Louis, par la disparition sans postérité de ses oncles. Au décès de Gustave Le Chevallier (1950), Durécu échut à sa fille Marie-Hélène, Madame Louis René-Bazin, belle-fille du célèbre romancier, membre de l’académie française.

Nous terminons en regrettant qu’aucune étude archéologique, ni architecturale n’ait encore paru sur le Manoir – qui a subi de très gros dommages en 1944 et fut soigneusement restauré par Madame René-Bazin et son fils Jean. Pour notre part, nous regrettons la reconstruction de la tour orientale à laquelle a été donnée une forme de donjon qui ne nous semble pas correspondre à ce qu’elle dut être à l’origine à ce que l’on en disait dans les souvenirs familiaux.

Enfin, (…) notons que la veuve de Jean a ouvert en 1982 ce qu’il est convenu d’appeler dans les guides touristiques une ferme-auberge. (Cette activité a cessé en 1987).

Sources

1) Archives familiales
2) Les Lesdo, Mélanges multigraphiés, 1980
3) Notule sur les propriétaires du Dur Ecu, 1975
4) Le Chateau et les seigneurs de Nacqueville, Mélanges, 1980
5) Archives départementales de la Manche, Fonds Le Pelletier.

Compléments aux informations recueillies par A de Lacroix de lavalette:

 [1] Jean Ferey: Fils de Richard Férey (décédé en 1522) et de Guillemine Dubois, Jean Férey est né en 1518. Il est, après son père, sieur de Durécu (Urville-Hague dans la Manche). Il est reçu en 1544 secrétaire du roi puis, en 1553, secrétaire de la Chambre du roi et contrôleur général de l’artillerie. Enfin, en 1562, il devient directeur et intendant des vivres de l’armée des finances puis, il est nommé ambassadeur aux Pays-Bas entre 1566 et 1568. Il se marie à Jeanne de Launay en 1542 qui lui donnera trois filles. Il est possessionné à Durécu (Manche) et dans l’Eure à Fontaine-la-Louvet (il construit un château en 1560), à Malou, à la Chapelle-Bayvel.

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2 réponses à “Notice historique par l’Amiral Alexis de LACROIX de LAVALETTE

  1. Pierre-Yves CORBEL

    Dans le fonds 120 J des Archives départementales de la Seine-Maritime, figurent quelques pièces concernant les Durant, seigneurs de Durescu. En 1514 Guillaume et Girard Durant règlent la succession de leur deffunt père Charles. La seigneurie de Durescu revient à Guillaume. Un autre acte de 1551 indique que la seigneurie appartient à Nicolas de Garrel ou Garret.

  2. Florence Lefebvre

    Je savais par mon père que ses ancêtres étaient nés à Durécu à Gatteville. C’est là toute l’information qu’il détenait. Tout dernièrement j’ai pu lire dans un livret du Chanoine J.B. de Brix de Montfarville destiné à sa famille et intitulé « Notre Famille » Documents et souvenirs, que mon ancêtre Louis Antoine Lefèvre époux de Jeanne (Gilette) Durand fut effectivement Sieur de Dur-Ecu. (p.21) (En 1806 ils marièrent leur fille Jeanne Marie Eulalie Lefèvre à André de Brix).

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