Urville bombardé par des équipages français de la RAF le 1er juin 1944

En 1983 j’ai eu la surprise de recevoir une lettre d’une personne, garagiste à Clermont-Ferrand, se présentant comme étant le bombardier de l’équipage de la RAF qui a détruit une aile de Dur-Ecu en juin 1944 [documents Piroutet]. Du récit de ma grand-mère et de mon oncle, sur place pendant le bombardement, et de ce que j’avais pu lire ensuite, jamais je n’aurais pensé que les équipages de ces avions puissent être des Français. La lettre, pleine de délicatesse, ouvrait donc de nouveaux horizons. Reprenons l’histoire de ces bombardements.

Le bulletin communal d’Urville-Nacqueville a publié, en 1994 je crois, les souvenirs de René Morange [documents Morange]. Ces souvenirs comprennent les bombardements de Gréville la nuit du 30 mai, et d’Urville et de Nacqueville les 1er et 3 juin. L’objectif de ces bombardements est bien perçu par la population comme étant principalement d’anéantir des stations d’écoute radio. Celles-ci se trouvaient sur les forts de Gréville et de Nacqueville et – on ne le savait pas trop pour la 3ème – dans un champ au dessus de Dur-Ecu, au niveau du Hameau Capel.

Le bombardement du 30 mai semble avoir atteint son objectif sur le fort de Gréville, avec malheureusement la destruction du Hameau Lefevre.

René Morange remarque bien au sujet du bombardement du 1er qui a surtout atteint Urville :
« Le lendemain on explore les alentours et l’on remarque que les alliés ont essayé d’éviter le plus possible les maisons ; mais ils n’ont pas atteint le but visé, le poste d’écoute est intact, il ne semble pas qu’il y ait de perte parmi les occupants ».
En fait René Morange parle ici du Fort de Nacqueville car la station d’écoute au dessus de Dur-Ecu n’est pas bien connue. Celle-ci est détruite et – en dommage collatéral – le manoir reçoit 2 bombes.

Grâce à Internet on a maintenant de nombreuses informations sur ces bombardements. Celui du 1er a été effectué par le squadron 346 de la Royal Air Force. C’est en fait une escadrille française , le groupe 2/23 « Guyenne », organisée en squadron le 16 mai 1944 sur la base d’Elvington (Yorkshire)  à partir d’équipages de l’armée de l’air française qui étaient arrivés via Liverpool aprés avoir combattu aux côtés des forces alliées en Afrique du Nord dans l’âpre conflit avec l’Africa Corps nazi. Avant le débarquement allié d’Afrique du Nord, sur instruction de son haut-commandement fidèle à Vichy, Guyenne avait légèrement bombardé Gibraltar , en représailles pour Mers El Kebir, puis les forces alliées débarquantes en Afrique du Nord
Ils furent rejoints à Elvington par d’autres équipages français qui avaient quitté leur patrie plus tôt.

Sa première mission eut lieu cette nuit du 1er juin en visant les installations radio de ce que l’Intelligence Service désignait alors comme la « station Y » de la «  la Ferme d’Urville ». Effectivement sur les hauteurs qui dominent Dur-Ecu, au niveau du Hameau Capel se trouvait un ensemble de « blockhaus » allemands, centré autour d’un poste d’écoute radio et destiné à le protéger. Il comportait1 une casemate pas encore équipée de canon, le poste d’écoute proprement dit, un poste de projecteur de DCA et un nid de mitrailleuses anti aériennes. Il s’agit donc d’un 3ème poste d’écoute, après celui de Gréville et celui du Fort de Nacqueville.

Le rapport d’opération [document 346] de la mission présente celle-ci comme un succès.

Après la destruction des installations de Gréville le 31 mai, et d’Urville le 1er juin, il restait à régler le sort de celles du Fort de Nacqueville.

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Cette fois il fut confié le 3 juin à deux squadrons australiens, les 463 et 467. Le fort de Nacqueville fut anéanti… et avec lui une bonne partie des habitations d’Urville et de Nacqueville. Le fameux « Village Normand » qui avait fait la renommée touristique de nos villages dans l’entre 2 guerres n’existait plus.

Le terme Ferme d’Urville est utilisé par la RAF sans que l’on sache trop s’il s’agit précisement du site sur Urville uniquement ou de l’ensemble formé par les 3 sites bombardés. Des sites internet australiens parlent de la Ferme d’Urville dans le Pas-de-Calais, comme quoi on peut être mauvais géographe et bon bombardier. Le rapport d’opération [document 467] parle de « tir très concentré », ce qui -vu du sol- paraît un euphémisme.

Après cette destruction les alliés identifièrent la station radio comme étant la principale station d’écoute de Normandie ce qui justifiait largement son attaque à la veille du débarquement du 6 juin.

Philippe René-Bazin
26/08/2014

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